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Harcèlement, discrimination : le quotidien des travailleurs culturels ?

Harcelement

10/01/2019

Les exemples de pollution de la sphère personnelle par la vie professionnelle sont nombreux et presque banals tant ils sont répandus. Les cas d’abus caractérisés, quant à eux, sont à peine moins fréquents… Et tout aussi rarement rapportés.

 

Le harcèlement moral semble être particulièrement répandu. Charlotte*, comédienne, raconte son expérience au sein d’une compagnie qu’elle a quitté depuis. « Dès mes débuts, on m’a dit « ce qui se passe dans la compagnie reste dans la compagnie ». J’aurais dû me méfier… Les premiers temps, tout se passait bien, et puis les relations se sont dégradées entre un autre acteur et moi. Il m’a prise en grippe. Il dénigrait mon jeu, refusait de jouer avec moi, a commencé à répandre des rumeurs sur moi, à mentir pour monter les autres comédiens contre moi. Tous les jours, c’étaient de petites humiliations, des propos agressifs. J’en ai perdu le sommeil. Au final, il a fallu qu’un autre comédien pose le mot de « harcèlement » sur ce que je vivais pour que je cherche de l’aide et que je décide de quitter la compagnie. Après coup, d’autres m’ont dit « tu n’es pas la première à qui il fait vivre cela » ».


 

« Ce qui se passe dans la compagnie reste dans la compagnie »

Charlotte*, comédienne
 

Le harcèlement peut se cristalliser autour d’une personne comme il peut concerner tout le groupe. Antoine*, ancien administrateur de structure culturelle, raconte son expérience. « Dans mon dernier poste, nous avons monté un projet de toutes pièces. Au début, tout semblait aller bien, et puis les choses se sont rapidement dégradées. Sous prétexte de « blague », la directrice a commencé à faire des commentaires relatifs à l’apparence physique des personnes, à leurs croyances religieuses ou à leur origine ethnique. Certains se sont offusqués. Ils ont fait l’objet d’une procédure disciplinaire et se sont fait licencier. Le climat est devenu intenable. Au bout d’à peine 2 ans, les 7 salariés d’origine avaient démissionné ou s’étaient fait virer ».
 

La situation n’est pas sans rappeler la grève de grande ampleur qui a eu lieu au Théâtre de la Commune fin 2018 suite à un certain nombre de départs… Négociés « en bonne intelligence », selon la direction ; dus à une gestion « pathogène », selon les salariés. Les exemples de management autoritaires et générant une souffrance pour les travailleurs sont nombreux. Citons par exemple La Scène Nationale de la Rochelle ou celle de Grenoble… Parmi celles qui ont fait l’objet d’une dénonciation des salariés. Car dans le secteur, sur le sujet, le silence est généralement de mise.
 

Autre sujet, récurrent dans le secteur, le sexisme touche toutes les branches de la culture. Musique, jeu vidéo, livre, spectacle vivant, cinéma… Les chiffres sont éloquents. Le rapport 2017 du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE) dresse un portrait alarmant de la place des femmes dans le secteur. Dans le théâtre par exemple, les femmes représentent la moitié des effectifs étudiants, mais seules 22% des compagnies bénéficiant de subventions sont dirigées par des femmes. Elles ne sont que 17% à la tête des théâtres nationaux, et ne reçoivent que 12% des récompenses. Pour les femmes dans la culture, le plafond de verre est une douloureuse réalité.

 

Le sexisme dans la culture, ce ne sont pas que des chiffres, ce sont aussi des faits. Il se manifeste au quotidien dans les relations de travail. Sophie Broyer cite un directeur d’établissement, disant de sa chargée de prod, en réunion d’équipe : « elle est vraiment chiante, mais au moins, elle est sexy ». Ou tel autre directeur, claironnant à propos de la directrice de com « vous voyez comme elle est obéissante, hein ! ». Le site bdgalite.org contient nombre de témoignages édifiants sur la propension de certains, dans le milieu de la bande dessinée, à s’intéresser à une autrice ou une illustratrice pour son physique plus que pour son talent. Et suite à l’affaire Weinstein, plus personne ne s’étonne d’entendre une actrice raconter comment elle s’est vu proposer un rôle en échange de faveurs sexuelles. Quand elle n’a pas été agressée ou violée.

 

Sous couvert, là encore, d’être une « grande famille », la majeure partie de ces abus n’est pas dénoncée. Ceux et celles qui protestent contre le traitement qui leur est réservé s’entendent souvent rétorquer que ce n’était qu’une « blague potache » ou qu’il/elle n’ont « pas d’humour ». Pour la consultante Micha Ferrier-Barbut (qui a codirigé l’ouvrage La Gestion des Ressources Humaines dans le Secteur Culturel), « il existe une forme de déni, une banalisation de ces situations. Les cas de souffrance ne sont pas nécessairement remontés. Ils sont perçus comme normaux ».


 

 

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